Les sciences humaines dans un sac de plage

La montée des fascismes dans le monde s’accompagne d’un usage perverti du langage et d’un rapport pour le moins distendu à la vérité… les spécialistes des fake news, les rois des faits alternatifs jouent en fait sur l’opposition entre deux régimes de vérité. D’un côté la vérité des experts, des scientifiques, de « l’élite » et de l’autre le « vrai des gens » ; une vérité subjective, enracinée dans l’opinion et la perception de ce qui nous affecte. C’est à cette opposition que s’attaquent Deprez et Giorgini dans un stimulant essai qui réfléchit aux moyens de réconcilier par le dialogue ces deux perspectives.

Ce livre a déjà fait l’objet d’un coup de cœur de nos bibliothécaires, c’est vous dire s’il vaut le détour !

Il n’y a pas que le fascisme qui monte, il y a également le thermomètre (coïncidence ? je ne crois pas !). L’urgence climatique et environnementale, en dépit de la dramatique valse-hésitation des pouvoirs publics quant aux modalités d’action, est là et bien là. Elle impose, entre autres choses, de changer de point de vue sur la nature et notre position vis-à-vis d’elle. Les mots de Baptiste Lanaspeze, éditeur chez Wild Project (une maison consacrée à l’écologie) sont puissants, tranchants et frappés au coin d’un bon sens qui semble parfois nous avoir abandonné : « l’énorme évidence m’est apparue qu’une société qui définissait sa dignité par opposition à une nature indigne ne pouvait qu’entrainer ruine et désastre autour d’elle ». Un texte fort qui nous invite à nous souvenir que nous sommes faits du même bois que cette nature dont certains d’entre nous peuvent « profiter » durant l’été.

Selon le baromètre 2025 de la santé mentale (réalisé par le Cabinet Empreinte Humaine), près d’un.e salarié.e sur 2 s’estime en « détresse psychologique » (45% des sondé.es). Le monde du travail ne se porte pas bien. Et pour en prendre la mesure, la perspective proposée par Lise Gaignard est remarquable. Ce petit livre est constitué des notes que la psychanalyste a prises lors des entretiens avec ces blessé.es du travail. Elle les a réordonnées en de courtes chroniques qui racontent les milieux professionnels abimés, violents, déshumanisants. La puissance du texte vient justement du fait que la parole est pour l’essentiel laissée aux professionnel.les, de tout milieu : gestionnaire de stocks, chimiste, professeur de lycée, dame de cantine, manager en informatique… La courte introduction permet de prendre la mesure de l’art clinique dont Lise Gaignard fait preuve pour favoriser le pas de côté, le dégagement des personnes engluées dans des situations de travail à première vue inextricables. La première question qu’elle pose est toujours la même : « et qu’est-ce que vous faites comme travail ? »

Certes, avec ce très bel essai, qui synthétise plus de 4000 ans d’histoire, on ne quitte pas vraiment l’actualité et les événements tragiques qui secouent le Moyen-Orient. Mais Georges Corm nous fait chausser les lunettes de la longue histoire pour éclairer un présent sinon difficilement compréhensible. Il revient notamment sur la façon dont les Occidentaux ont pu, dès le XVIIIe siècle, déstabiliser le Moyen-Orient et appliquer des politiques punitives disproportionnées à l’encontre de certains Etats de la région. L’ouvrage se conclut par la nécessité de sortir du deux poids deux mesures dans les relations internationales vis-à-vis du Moyen-Orient. « La mise en œuvre d’un droit démocratique moderne [au Moyen-Orient] n’est envisageable que si les grandes démocraties européennes et américaines faisaient elles-mêmes un usage cohérent et systématique du droit dans leur rapport avec ces états »… Le livre de Georges Corm date de 2007 et on peut affirmer que cet appel est pour le moment resté sans réponse.

Si l’ouvrage de Corm fait trop écho à une actualité pour le moins déprimante, prenons encore de la distance ! Avec La guerre de Troie a-t-elle eu lieu ?, Stéphane Foucart, journaliste au Monde, propose en un peu plus de 100 pages une véritable enquête d’investigation sur la cité mythique. Il compulse les travaux historiques et interviewe les spécialistes du sujet. Il raconte tant ce que l’on peut savoir avec assurance sur Troie que les évolutions et les débats de l’historiographie. Foucart revient sur la figure d’Heinrich Schliemann, homme d’affaires et archéologue amateur qui découvre en 1870 le site de Troie à Hissarlik au sud de l’actuelle Turquie. En réalité, plusieurs cités sont mises au jour, plusieurs Troie ! Laquelle correspond à la ville mise à sac ? Quelles furent les causes probables de ce conflit entre les Grecs et les Hittites ? Dans quelle mesure le récit que fait Homère de cette guerre dans L’Illiade est-il fiable ? Toutes les réponses et bien d’autres dans ce court essai en tout point passionnant.

Isaac Asimov lui non plus n’était pas historien. Mais il fut, en marge de sa brillante carrière d’écrivain de SF, un excellent vulgarisateur scientifique. Son style simple et direct lui permet de brosser près de 5 siècles d’histoire impériale en 300 pages. Du règne d’Auguste, premier véritable empereur, à la chute de Romulus Augustule, dernier empereur romain d’occident, en passant par la montée en puissance du christianisme, ce récit a l’allure d’une grande fresque. On peut y déceler le goût d’Asimov pour les histoires au long cours, multiséculaires, telles qu’il les développe dans ses cycles célèbres : Fondation ou les Robots. Certes, l’ouvrage est quelque peu dépassé sur le plan historiographique, mais vous trouverez difficilement un panorama historique aussi synthétique et plaisant à arpenter que cet Empire romain.

Si pour vous « transcendantal » est une forme de méditation et que « l’impératif catégorique » vous fait penser à un besoin pressant, alors ce Comprendre Kant est fait pour vous. Penseur génial, notamment des limites de la connaissance, il est aussi réputé pour être passablement illisible. Pourtant il révolutionne la manière de philosopher au point qu’aucune philosophie postérieure ne pourra se passer d’un dialogue avec ses œuvres. Ce petit “essai graphique” fait le point sur les trois questions qui structurent le système philosophique kantien : que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Les auteurs présentent les thèses kantiennes sur des sujets pour le moins fondamentaux : la définition du temps et de l’espace, la signification de la liberté, la possibilité d’émettre un jugement de beauté…

Vous n’êtes pas rassasié.es ? Vous voulez réfléchir à toujours plus de grandes questions existentielles ? Mais dans une approche plus pragmatique ? Laissez-vous tenter par ce petit essai du grand Thomas Nagel. 120 pages, 9 problèmes et autant de terrains de jeu pour vous exercer à la pensée philosophique : que pouvez-vous savoir de ce qui se passe dans l’esprit des autres ? Y a-t-il du libre arbitre ? Comment un mot peut-il signifier quelque chose ?… Le coup de force de Nagel consiste à ne jamais accabler le lecteur de références et de citations philosophiques. En fait, le livre n’en contient pas une seule ! Il mène ses réflexions en se fondant uniquement sur une argumentation solide et précise et dans un style qui l’est tout autant.